Par Lucy Piper, journaliste à medwireNews
medwireNews : Les anti-amyloïdes ont révolutionné le traitement de la maladie d’Alzheimer, mais des travaux supplémentaires seront peut-être nécessaires pour qu’ils présentent une utilité clinique chez la plupart des patients atteints. C’est ce que suggère un échange qui s’est tenu lors du 18e Congrès mondial sur les questions faisant débat en neurologie, à Londres, au Royaume-Uni.
De nombreux patients dans la pratique clinique n’ont pas droit aux traitements anti-amyloïdes.
Dorota Religa (Karolinska Institutet, Stockholm, Suède) a rappelé que les anti-amyloïdes n’ont qu’un effet limité et ne présentent aucune utilité clinique chez la plupart des patients. Pour rappel, ces derniers attendent d’un médicament qu’il stabilise, voire améliore leur mémoire et leurs capacités fonctionnelles, qu’il réduise les problèmes de comportement et qu’il prolonge le maintien au domicile.
Or, la Dr Religa a souligné qu’avec tous les anti-amyloïdes (aducanumab, lécanémab, donanémab), la plupart des patients présentent encore une détérioration, toutefois moins marquée qu’avec le placebo (différence de 0,45 point sur l’échelle Clinical Dementia Rating-Sum of Boxes dans le cas du lécanémab lors de l’étude CLARITY AD).
Et d’expliquer, « Même quand on élimine les plaques amyloïdes, la détérioration se poursuit. » La Dr Religa a également évoqué l’absence d’amélioration au niveau des critères d’évaluation secondaires tels que les aspects fonctionnels et comportementaux, ainsi que les effets cognitifs. Par conséquent, « nous ne savons pas trop comment évaluer le bénéfice et le risque pour nos patients dans […] la vraie vie. »
Quant à la question de savoir si les anti-amyloïdes seront utiles chez la « majorité » des patients, la Dr Religa a fait valoir que bon nombre des patients inclus dans les essais concernant ces traitements ne correspondent pas à la population qu’elle voit dans la pratique clinique. Elle a cité une étude réalisée en Suède en 2022 par Anna Rosenberg et al, qui est arrivée à la même conclusion, à savoir, parmi la population typique d’un centre mémoire, la plupart des patients ne répondraient pas aux critères recommandés pour les traitements par anti-amyloïdes.
Par exemple, l’âge médian des participants de l’étude CLARITY AD était de 72 ans, avec une fourchette allant de 50 à 89 ans, alors que la Dr Religa traite de nombreux patients âgés de plus de 90 ans. En outre, cette étude « n’incluait pas de patients atteints d’une maladie d’Alzheimer modérée à sévère ou normaux sur le plan cognitif, mais présentant des biomarqueurs des amyloïdes. » Les patients dont l’indice de masse corporelle était inférieur à 17 kg/m2 ou supérieur à 35 kg/m2 étaient exclus, alors que le lécanémab est dosé en fonction du poids.
La Dr Religa a également cité un vaste registre de la démence en Suède, auquel elle participe et qui comprend plus de 125 000 patients. Elle a expliqué que la plupart de ces patients présentent une démence mixte (Alzheimer, démence vasculaire, démence à corps de Lewy, dégénérescence fronto-temporale) et des comorbidités, notamment des changements vasculaires et inflammatoires, autant de facteurs qui excluent un traitement par anti-amyloïdes. En outre, dans un contexte où « environ 50 % de ces patients vivent seuls », il leur serait difficile de se rendre régulièrement à des séances de perfusion.
Parmi les autres problèmes évoqués, la Dr Religa a également rappelé un effet indésirable connu, en l’occurrence les anomalies liées à l’amyloïde au niveau de l’imagerie, en sachant que les patients présentant des facteurs de risque (traitement anticoagulant, angiopathie amyloïde cérébrale et apolipoprotéine EƐ4 homozygote) ne peuvent pas recevoir d’anti-amyloïdes. Enfin, elle a souligné que les échelles de mesure utilisées dans le cadre de l’étude CLARITY AD, par exemple, ne sont pas couramment employées dans la pratique clinique.
En conclusion, la Dr Religa a recommandé d’envisager d’autres stratégies thérapeutiques, « dont certaines sont en cours de développement », ajoutant que « la maladie d’Alzheimer est une affection si complexe qu’il n’est pas possible de la traiter à l’aide d’un seul médicament. C’est une approche trop simple face à une pathologie complexe. »
Les anti-amyloïdes ont ouvert la voie
Paul Edison (Imperial College, Londres) a présenté l’argument selon lequel les anti-amyloïdes « auront » une utilité clinique chez la plupart des patients. Il a convenu que les associations thérapeutiques à base d’anti-amyloïdes constitueront probablement la prochaine étape.
Il estime en effet que « les anti-amyloïdes sont révolutionnaires ; ils redéfinissent le traitement de la maladie d’Alzheimer ». En reconnaissant que ces médicaments sont efficaces, nous pourrons « faire avancer ce champ thérapeutique. »
La charge amyloïde élevée est le premier changement détectable dans la progression de la maladie d’Alzheimer, des dizaines d’années avant l’apparition des premiers symptômes. Comme l’a fait remarquer le Dr Edison, « plus de 90 % des patients atteints d’une maladie d’Alzheimer présentent une charge amyloïde élevée. »
Et de souligner qu’en éliminant les plaques amyloïdes au niveau du cerveau, les anti-amyloïdes ont montré qu’il était possible de modifier la maladie d’Alzheimer. Néanmoins, l’élimination des plaques amyloïdes ne suffit pas à elle seule ; « c’est le mécanisme utilisé pour éliminer les plaques amyloïdes qui sera essentiel. »
« En étudiant la façon dont les plaques amyloïdes se forment et en recherchant les médicaments capables d’avoir un impact significatif sur cet aspect, nous pourrons comprendre comment fabriquer un meilleur médicament afin qu’il puisse être utilisé chez une population beaucoup plus large. »
Le Dr Edison a souligné qu’il sera également essentiel de traiter plus tôt les patients souffrant de troubles cognitifs légers (MCI), alors qu’ils ne sont pas typiquement inclus dans les essais. « Nous devons faire en sorte de traiter les patients très tôt. »
Un projet de directive de la Food and Drug Administration (FDA) américaine face à la maladie d’Alzheimer, publié ce mois-ci, va également dans ce sens. Ce document explique aux laboratoires pharmaceutiques « comment produire un médicament et obtenir une approbation accélérée ». La maladie d’Alzheimer y est classée en six stades, les stades 3 à 6 comprenant les patients qui présentent des troubles fonctionnels et cognitifs. « En réalité, la FDA nous encourage à traiter les patients aux stades 1 et 2. C’est donc bien avant l’apparition des symptômes, et c’est là l’aspect central. Il faut commencer le traitement au moment où le processus pathologique s’enclenche. »
Le Dr Edison a reconnu que l’accumulation d’amyloïde n’est pas le seul processus neurodégénératif ; par exemple, les patients présentent aussi un dépôt de protéine tau et une neuro-inflammation. Selon lui, les chercheurs ont des raisons de penser que l’avenir du traitement pourrait consister à cibler simultanément d’autres processus, en plus des plaques amyloïdes, de manière à « produire un médicament aux effets multiples ».
Les patients doivent peser les bénéfices et les risques associés aux anti-amyloïdes, étant donné l’effet indésirable possible que constitue l’ARIA. Cela étant, le Dr Edison suggère qu’en comprenant mieux le pourquoi et le comment de l’ARIA, il pourrait être possible de l’éviter, éventuellement en « modifiant la formulation du médicament » ou son mécanisme d’action.
En conclusion, le Dr Edison a expliqué que « [les anti-amyloïdes] constitueront sans aucun doute un défi important pour les systèmes de santé », mais il est convaincu qu’« un jour, on nous proposera un traitement [combiné] à base d’anti-amyloïdes. »
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